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    Okio-Studio

    une saga française

    Crée fin 2013, Okio-Studio s’impose comme une société pionnière en matière de création de contenus en réalité virtuelle. Producteur de I, Philip, un film qui a fait le tour du monde, l’agence est aussi engagée dans une dynamique internationale destinée à promouvoir la production française dans le domaine. Entretien avec son co-fondateur, Antoine Cayrol.

    Okio est né il y a environ trois ans et demi, quelles sont les origines de la création de ce studio spécialisé dans la production de contenu en réalité virtuelle ?
    Comme souvent dans la vie, c’est une question de timing et aussi une question de chance. Je suis producteur dans le digital depuis dix ans. Je gère la société de production FatCat Films, qui produit beaucoup de webdocs, de web séries, de documentaires, de publicités, etc. Il y a deux ans et demi, j’ai revendu cette société tout en restant actionnaire. J’étais avide de nouveaux projets. C’était le moment de réaliser quelque chose avec mon ami, le producteur Lorenzo Benedetti, l’homme derrière le Studio Bagel, qui venait de revendre sa société à Canal +. Au même moment, nous découvrons la réalité virtuelle avec masque chez un ami développeur, et de cette découverte est tout de suite née l’envie de faire un film en Réalité Virtuelle (RV).
    Pour nous, il s’agissait de tester ce nouvel outil digital qui permettait d’inventer une nouvelle manière de raconter des histoires. C’est ainsi qu’est né I, Philip, un court métrage basé sur la fameuse histoire de la tête disparue de Philip K. Dick. Comme nous faisions de la R&D technique et narrative, en même temps que nous lancions le développement du film à un moment où rien n’existait sur ce marché, nous sommes vite devenus “les spécialistes” par défaut, dans ce domaine. Rapidement nous avons compris que nous avions intérêt à fonder une société qui soit réellement spécialisée dans la production de contenu audiovisuel en réalité virtuelle. C’est ainsi qu’est né Okio-Studio. Depuis, nous avons réalisé cinq films : un de fiction et quatre moitié publicité, moitié reportage.

    Vous étiez au Festival de Cannes récemment. Cette édition était clairement tournée vers la VR, quelles sont vos impressions à ce sujet ?
    Studio Canal n’étant plus là cette année, les entrepreneurs et exposants de la RV avaient à leur disposition tout le Pavillon NEXT, qui est géré par le Marché du Film (www.marchedufilm.com/fr/next). Il s’agissait d’un pavillon dédié aux innovations et aux nouvelles technologies dans le domaine du cinéma et dans l’audiovisuel. Ils avaient réservé quatre jours pour la réalité virtuelle. Ils y proposaient une série de conférences avec des intervenants internationaux, une salle de cinéma équipée par PickupVR (pickupvrcinema.com) avec quarante masques qui diffusaient toute la journée des films en réalité virtuelle, accompagné d’un espace démos et meeting où l’on pouvait se rencontrer. C’était très important et c’était un signe fort de l’importance de la RV aujourd’hui. Un autre signe fort, la récompense de Okio à l’Audi Talent Arward dirigé par la firme automobile bien connue. Nous concourions face à des courts métrages classiques, et c’est un film en RV qui a été récompensé !

    Selon vous quel avenir et surtout quel intérêt de développer des projets en VR au cinéma ?
    On ne pourra pas faire du cinéma classique en réalité virtuelle. Il faut inventer de nouveaux modes de narration. Pour l’instant, les films que j’ai faits, et que beaucoup de gens ont faits, c’est ce que l’on appelle de la cinématique RV. C’est-à-dire des films totalement pré-calculés, avec un pré-rendu, dans lesquels la seule interaction pour l’instant est de tourner la tête dans un univers d’images filmées. C’est très bien, c’est une grande étape, on la fait et on continuera à la faire pendant encore un moment. Cependant, il va falloir aller plus loin, et pour favoriser l’immersion, faire interagir le spectateur. Pas sous la forme de films dont je suis le héros, avec le format “porte A”, “porte B” et la narration qui change selon ces choix, non. Ce serait un peu ennuyeux. Ce serait plutôt des interactions avec le monde qui entoure le spectateur, l’ombre qui évolue en même temps que je marche, le reflet dans un miroir si je me retourne, ce genre de choses. Il va donc falloir mélanger les techniques du jeu vidéo et les techniques du cinéma.

    I, Philip de Pierre Zandrowicz. Production: Arte France, Fatcat, Okio-Studio. Photo: D.R.

    Avez-vous également l’impression que l’intérêt pour la RV est réellement émergent cette année ? Qu’elle semble enfin porteuse de projets et de potentialités, pour le grand public comme pour les artistes, qui commencent vraiment à comprendre l’importance de ce phénomène. Qu’en pensez-vous ?
    Je suis tout à fait d’accord. Chaque chose vient en son temps. L’année dernière c’était encore un peu tôt, même s’il existe des gens qui travaillent sur ces technologies depuis près de trente ans. Je pense également que le fait que YouTube et Facebook aient sortis leur player en 360° a permis une démocratisation, impensable il y a encore un an, des technologies RV dans le domaine public. Juste avec le fait de faire découvrir aux gens, l’effet que cela fait de pouvoir réaliser une vidéo à 360°, et de l’animer en faisant seulement bouger son téléphone, ces deux sociétés ont lancé l’idée de la démocratisation de ces technologies qui sont un pas de plus vers la réalité virtuelle, et le public en effet, prend très vite ce virage technologique.

    Que pensez-vous des questions de société que posent ces technologies ?
    Je pense qu’il faudra se pencher, à plus ou moins court terme, sur ces questions. Cela rejoint tous les problèmes de l’évolution technologique liés aux nouveaux médias : comment protège-t-on nos données ? Où sommes-nous prêts à aller dans l’autopromotion de notre personne ? Jusqu’où allons-nous laisser les marques s’introduire dans nos vies ? Etc. Ce sont des questions sociétales.

    Dans le futur d’Okio, quels sont pour vous les applications artistiques, ou plus généralement les projets, que vous souhaitez développer ?
    Nous nous développons autour de trois branches. Une branche reportage, une branche publicité et une branche fiction. L’idée étant de continuer à faire grandir ces trois domaines d’activité. La publicité par exemple, est intéressante, cela rapporte de l’argent pour développer d’autres projets, et c’est également un excellent laboratoire. Nous souhaitons aussi continuer à produire du reportage, cela se fabrique vite et c’est également intéressant. Nous en avons déjà beaucoup en boite, dont un sur le bateau Aquarius de SOS Méditerranée autour de l’aide aux migrants, dont nous sommes très contents. Nous souhaitons également poursuivre la production de fiction. C’est la branche la plus chère et la plus compliquée à mettre en place. Cela nécessite beaucoup d’aides, des fonds européens, des diffuseurs, etc., mais nous avons bien l’intention de produire plus de fictions bientôt. Nous aimerions aussi développer les relations avec les États-Unis.

    Justement, dans le domaine de la RV, la France semble encore un peu en retard, qu’en pensez-vous ?
    En France nous avons énormément de talents, nous avons une belle façon de produire, mais cela reste encore modeste à cause des moyens financiers qui ne suivent pas. Ceci dit, la France bénéficie depuis le 27 avril d’un crédit d’impôt d’aide international en matière audiovisuelle qui soutient les projets en RV. Aux USA, ils ont un marché pour ça. Ce rapprochement est en cours. Avec des amis nous avons également fondé un think tank nommé Uni-vers, qui souhaite rassembler tous les acteurs français de la RV, et pas uniquement les producteurs de contenu (les gens des jeux vidéo, du hardware, les chercheurs, mais aussi des médecins, etc.) pour s’informer les uns les autres, et informer l’extérieur, sur la production française en matière de réalité virtuelle.

    propos recueillis par Maxence Grugier
    publié dans MCD #82, « Réalités Virtuelles », juillet / septembre 2016

     

    > http://www.okio-studio.com/

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