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    Archéologie du LOLcat

    Emblématique de la viralité, le LOLcat appartient pourtant à l’histoire des médias. Aujourd’hui, contrairement à l’opinion reçue, le LOLcat représente un enjeu économique, politique et artistique.

    L’origine du LOLcat est connue pour appartenir aux mèmes créés et distribués massivement sur les plateformes UGC du Web 2.0, notamment sur le forum anonyme 4chan à partir de 2005 lors des s/c/aturdays. Ce sont des photographies de chats légendées en police blanche, sans sérif, dans un anglais chaildizé pauvre perverti.

    À fouiller, on retrace aussi des ancêtres pré-digitaux chez les Brighton Cats de l’Anglais Harry Pointer dans les années 1870 — une série de 200 cartes postales photographiques de chats avec des poses anthropomorphiques titrées dialoguées — et chez l’Américain Harry Whittier Frees au début du XXème siècle. The Boxing Cats, un film de 23 secondes réalisé en 1894 par W.L. Dickinson au studio Black Maria de Thomas Edison figurant deux chats qui boxent avec des gants arbitrés par le professeur Henry Welton, vient par ailleurs d’être transposé en GIF.

    Au Moyen-Âge, les chats sont le plus souvent représentés sous la forme de marginalia, en marge des manuscrits pour distraire le lecteur. Au XVIème siècle lors d’une fête religieuse à Bruxelles, un ours joue de l’orgue à chats, chaque touche étant reliée à la queue d’un félin à la tessiture particulière. Trevor Plagen, en exposant cette année son projet The Last Pictures au festival Transmediale à Berlin, dit avoir fait embarquer éternellement, tout au moins pour des billions d’années, une image de cet orgue dans un satellite en orbite géostationnaire parmi 100 autres photographies en silicium qui ne seront peut-être jamais trouvées.

    Orgue à Chats. Photo: D.R. (domaine public). Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Orgue_%C3%A0_chats

    A/FK
    Et plus intentionnel que Hermann Diephuis fonçant sur un mur de cartons au sein de la pièce chorégraphique de Mathilde Monnier Les lieux de là en 1999 au CCN de Montpellier, il y a Muriel Piqué lors du solo VU(E) au Carré d’art de Nîmes en 2010 qui essaie de se caler dans un carton trop petit pour elle; tel Maru, l’enrobé Scottish Fold japonais connu entre autres pour glisser pattes écartées à l’intérieur d’emballages de yaourts Diet.

    Il y a la minette bleue de Sonia Amirouche qui écrit-performe souvent avec moi au clavier en réseau pré-2.0. Il y a encore le chœur de LOLcats composé avec Gaëtan Rusquet pour Based on an almost true story au festival européen de performance Trouble 2013 à Bruxelles avec Leen, Lune, Kevin et Valentine. Il y a aussi les prouesses transposées de Maru et Shirone et l’inauguration d’un mini-cinéma croquettes avec un groupe d’étudiantes à l’École Supérieure d’Art d’Avignon…

    En dérives artistiques en ligne, à noter  : la vidéo de la chatte pianiste Nora diffusée lors du catcerto de l’orchestre de chambre lituanien Klaipéda dirigé par Mindaugas Piecaitis en 2009, la recomposition par Cory Arcangel  assemblant des samples de chats au piano pour recomposer l’Opus 11 n° 1 d’Arnold Schoenberg, ce siamois déguisé en requin sur un aspirateur robot Roomba suivi par un caneton et rejoint par un chien camouflé en requin-marteau de la chaîne Youtube Helenspets, la brochette de minets de Shironekoshiro sur lesquels il empile des mandarines, boîtes de conserve, fleur…, une tendresse pour tous les félins parlant, aboyant ou jouant avec des écrans des platines thérémines…, et un coup de cœur pour cet artiste qui s’échappe à plusieurs reprises de sa cage chez un vétérinaire à Marseille.

    Wikipédia consacre un chapitre à la ronron-thérapie. Des enfants font la lecture de romans à des chats dans un refuge de Pennsylvanie pour améliorer leurs compétences en littérature et tranquilliser les animaux. Lors de l’étude intitulée Le pouvoir de Kawaii, des chercheurs de l’Université d’Hiroshima concluent que regarder des images mignonnes favorise la concentration et renforce l’attention visuelle. Ils mentionnent qu’à l’avenir, les mignonneries pourraient être utilisées pour déclencher des émotions susceptibles de développer des tendances comportementales de prudence et minutie dans des situations spécifiques telles que la conduite et le travail de bureau.

    Sca(t)n. Modèle scannée : Wanda, juin 2013. Commande de Lucille Calmel à Gaëtan Rusquet. Photo : D.R.

    Le business LOLcat
    À son origine, le LOLcat se situe dans une perspective de l’économie du don, de l’acte créatif jetable, de la perte de temps, de ce qui rend la vie plus facile. Ce qui fait rire fait signe d’appartenance. Néanmoins, il peut être pertinent de faire un pendant critique à ce qui vient d’être dit avec les articles « Candy Crush Rehab » de Beatriz Preciado dans Libération et « Beware of cupcake fascism » de Tom Whyman dans The Guardian qui traitent respectivement de la masturbation de l’écran du capitalisme cognitif libéral, et d’un mouvement maladivement gentil qui satisfait le désir d’une population infantilisée de se cacher du monde tout en imposant des valeurs bourgeoises.

    La clé du succès de Candy Crush réside justement dans ses défauts : le caractère enfantin et inoffensif (il n’y a ni violence, ni sexe), l’éternel recommencement (jusqu’à 410 niveaux) ainsi que l’absence de contenus culturels spécifiques pouvant susciter adhésion ou rejet. Chasteté, idiotie et gratuité sont les conditions de possibilités de la globalisation de la dépendance. If a fascist Reich was to be established anywhere today, I believe it would necessarily have to exchange iron eagles for fluffy kittens, swap jackboots for Converse, and the epic drama of Wagnerian horns for mumbled ditties on ukuleles.

    Plus célèbres que les interprètes souvent anonymes des scans, selfies (avec l’appli Snapcat) et pornos photobombés, les héros des vidéos cliquées des millions de fois sur YouTube ont dorénavant leurs festivals et expositions : au Walker Art Center de Minneapolis depuis août 2012, à la Framers Gallery à Londres en janvier 2013, au Catdance Film Festival à Sundance dans l’Utah en 2014… En France, le curateur Éric Maillet a proposé en juin dernier When Cattitudes Become Form, une exposition chez 3/SOME à Cergy, à destination des chats.

    Depuis son invitation au South by Southwest Festival à Austin au Texas, Grumpy la chatte grincheuse connue sur les réseaux, ambassadrice de Friskies, égérie de multiples produits dérivés, est estimée par le New York Magazine à un million de dollars. Ben Lashes, son manager, a déjà géré le succès de plusieurs stars du Web comme Keyboard Cat ou Nyan Cat.

    Parmi un groupe de financiers et étudiants spécialisés, c’est Orlando, un minet rouquin, qui gagne le concours en bourse lancé par l’hebdomadaire du Guardian, The Observer, en 2012, défendant ainsi l’idée de l’économiste Burton Malkiel selon laquelle les prix des actions évoluent de façon aléatoire, rendant les marchés boursiers entièrement imprévisibles.

    Sca(t)n. Modèle scannée : Wanda, juin 2013. Commande de Lucille Calmel à Gaëtan Rusquet. Photo : D.R.

    Quand les « cute cats » servent les activistes
    NBC News révèle d’après Snowden que la NSA et le GCHQ (service du renseignement électronique du gouvernement britannique) collectent les données non cryptées des vues YouTube, likes Facebook, visites sur Blogger… afin de, selon ces agences, chercher des données, connexions et tendances intéressantes. Les ingénieurs de Google affirment qu’ils ont conçu un réseau informatique capable d’analyser, de classer et d’apprendre lui-même à reconnaître le contenu des images.

    Ainsi, le « réseau neuronal » a été nourri de 10 millions d’images à partir de vignettes vidéo YouTube et — sans qu’on nous dise comment — a créé son propre concept de chat. La théorie « cute cat » de l’activisme numérique développée par Ethan Zuckerman en 2008 postule que la plupart des gens ne sont pas intéressés par l’activisme, qu’ils préfèrent utiliser le web pour des activités banales, y compris la pornographie et les LOLcats.

    En parallèle, les plateformes comme Facebook, Flickr, Blogger, Twitter… sont très utiles aux activistes des mouvements sociaux qui peuvent manquer de ressources pour en développer eux-mêmes. D’autre part, les activistes se trouvent plus à l’abri des représailles des gouvernements que s’ils utilisaient une plateforme spécialement dédiée. En effet, fermer une plateforme populaire provoque généralement un tollé public général beaucoup plus conséquent que s’il s’agit de fermer d’obscurs médias sociaux. Or, quand la censure qui s’exerce pour des raisons politiques aboutit à la fermeture ou au blocage de ces plateformes mondiales, elle s’exerce aussi pour les « cute cats » et toutes les autres activités banales, ce qui ne manque pas d’être contre-productif.

    The likes of Brother Cream Cat, un projet d’art en réseau de Helen Pritchard et Winnie Soon, est une expérience en direct avec un chat devenu célèbre sur Facebook. Brother Cream qui habite dans un magasin à Hong Kong s’était perdu en 2011. Grâce à des milliers de « likes » de ses fans, il a été retrouvé et il a depuis attiré de nombreux clients-visiteurs dans l’épicerie. Après l’installation sur son navigateur du module complémentaire spécialement créé pour le projet, l’utilisateur ne peut plus voir sa page Facebook habituelle : la plupart des images sont remplacées (sans la permission du réseau social) par les dernières traces en ligne de Brother Cream. Cette œuvre à la fois politique et artistique est révélatrice : la notion de vivant sur le Net comprend donc à la fois des participants humains et non humains, dans ce dernier cas des machines programmées et des animaux.

    Lucille Calmel
    artiste et professeur à l’École Supérieure d’Art d’Avignon
    publié dans MCD #75, « Archéologie des média », sept-nov. 2014

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