Water Light Graffiti
L’eau n’a jamais fait bon ménage avec le feu, ni avec sa cousine, la fée électrique… Pourtant, Antonin Fourneau a joué à l’alchimiste en réconciliant ces deux éléments au travers de Water Light Graffiti. Un mur de LEDs qui s’activent et dessinent des formes, mots et figures sous l’effet de la rosée projetée d’un brumisateur ou d’un pistolet à eau remplaçant, dans ce dispositif, la bombe de peinture chère aux graffeurs… Antonin Fourneau a pu présenter et tester in situ ce projet à Poitiers l’été denier. Cette œuvre s’inscrit dans le sillage d’une démarche artistique qui conjugue le ludisme à la technologie : diplômé de l’ENSAD où il enseigne désormais, Antonin Fourneau s’est notamment intéressé aux fêtes foraines et aux jeux vidéos dont les “principes actifs” ressurgissent au travers de ses œuvres interactives (Eniarof, Ortep…).
Water Light Graffiti renverse l’antagoniste eau / électricité. Comment a germé cette idée de mur de lumières LED qui s’activent au contact de l’eau…?
J’avais déjà fait pas mal d’expériences sur l’eau comme matériau d’interaction, notamment avec un projet où il faut tenir une éponge et toucher les autres pour interagir dans un jeu. Et j’avais réalisé, lorsque j’étais à la Galerie Duplex, une mâchoire de LEDs activées par le contact de la langue nommée Jawey.
D’autre part, j’ai effectué plusieurs voyages en Chine et j’étais assez fasciné par la pratique du nettoyage des calligraphies sur le sol et par des hommes âgés qui faisaient des démonstrations de dessin à l’eau dans les parcs. J’ai commencé à cogiter lors d’un workshop que j’avais intitulé Natural interface device, à la CAFA (Central Academy of Fine Arts) de Pékin en 2011. Un soir, en préparant un cours, j’avais un pulvérisateur à eau sous les yeux et j’étais en train de bricoler des Leds. L’idée a germé à ce moment-là.
Derrière Water Light Graffiti, est-ce qu’il y a aussi un concept, une réflexion théorique, ou est-ce que c’est juste pour le plaisir de l’œil, pour l’esthétique, le ludique (graff) et le “bluff” technique ?
J’ai vraiment réfléchi à ce projet en voulant développer un matériau intelligent sans une technologie trop complexe derrière. Je suis assez obnubilé par l’ingéniosité des idées simples et fatigué par les projets trop lourds technologiquement, qui peuvent vite devenir des usines à gaz. Je voulais développer un matériau assez facile à mettre en œuvre, et qui puisse même être installé à grande échelle. Pour moi, les technologies doivent être magiques et transparentes. J’avais donc dans les mains deux composantes idéales à essayer de réunir et faire interagir ensemble : l’eau et la lumière.
Je dirai que ce projet est relativement dans la continuité de mon travail avec Eniarof et Oterp où je cherchais à faire sortir l’interaction homme / technologie du rapport que l’on avait jusqu’à présent et qui reste figée… Je deviens un adulte, mais j’aimerai continuer à jouer dans la rue comme je le faisais enfant. Une de mes principales satisfactions aujourd’hui, en tant qu’artiste, est de montrer des choses qui font sourire les gens ou, du moins, d’arriver à les émerveiller même un court instant. Donc derrière, il y a bien une réflexion commune à toute ma pratique qui, bien souvent, cherche à bluffer les gens, mais pas juste techniquement.
Est-ce que tu as d’autres projets autour de ce procédé ?
J’aimerai bien trouver un jour un peu de temps pour, moi aussi, m’amuser à dessiner dessus… Cela dit, oui : bien avant de me lancer dans la réalisation du mur grand format que l’on a présenté à Poitiers en juillet 2012, j’avais commencé à réfléchir a des idées aussi en petit format. L’ardoise magique était une des formidables inventions que j’avais dans les mains enfant, donc je vais aussi travailler sur des choses plus petites. En fait, j’avais déjà réalisé des choses autour du procédé avant Water Light Graffiti; donc j’y reviendrai encore je pense.
Tu as développé ce projet dans le cadre du ArtLab de Digitalarti. Peux tu nous faire un premier petit bilan (non laudatif 😉 de cette expérience et, d’une manière plus générale, à la lumière des autres expériences de ce type que tu as eu, nous dire ce qu’apporte ce type de résidence ?
J’ai eu l’occasion de faire quelques résidences ces dernières années à Tokyo, Madrid, Lorient et enfin ici à Paris, au Artlab. À chaque fois les logistiques n’étaient pas les mêmes avec parfois de très beaux locaux et peu de moyens de production, mais beaucoup de gens à rencontrer. Le medialab Prado à Madrid serait ce qui se rapproche le plus du Artlab ce qui est pour moi un gage de qualité. Le Artlab est cependant beaucoup plus orienté sur la production, ce qui est parfait quand on arrive avec une idée et que l’on a besoin de réaliser des prototypes et de se lancer.
La notion d’interactivité est au cœur de ta démarche. Vers quelles évolutions – technologiques notamment – allons-nous dans ce domaine. À quels nouveaux types d’œuvres le spectateur va et sera confronté ?
On n’arrive dans une époque où tout va aller très vite et je pense qu’il est important que les gens comprennent et connaissent un minimum ce qui va les environner. On va avoir des technologies de plus en plus naturelles et donc pervasives. On parle de poussières intelligentes, tout va se miniaturiser de plus en plus avec les MEMs [en français, Systèmes MicroÉlectroMécaniques] capables de capter un peu tout ce qui vous entoure en étant quasiment transparent. Il faut que tout cela reste magique et je pense que les designers, artistes et créateurs vont prendre le relais de l’industrie pour montrer et favoriser des d’usages inattendus des technologies et les rendre plus transparentes. On va voir beaucoup de magie.
J’ai l’impression que toute cette créativité hyper boosté va s’adresser aux gens et non plus au spectateur; je veux dire par là que le cadre de monstration va aussi certainement changer… C’est pour ça que le street art, par exemple, aura aussi un vrai avenir technologique à mon sens. On parle beaucoup aujourd’hui de “ludification” de l’environnement urbain… Je continuerai de créer des choses toujours ludiques car je crois beaucoup à l’importance du loisir dans notre société.
Tu enseignes à l’ENSAD, notamment. Quel est le profil des étudiants dans ce domaine ? Comment — avec quelle dynamique et background arrive — cette génération dans le champ de l’art numérique ?
J’enseigne à l’ENSAD dans un petit labo qui a vu son nombre d’étudiants doublé d’année en année; donc je sens bien qu’il y a de plus en plus de curiosité de cette génération de screenager sensible aux objets électroniques. Ils veulent comprendre et rendre plus sensibles ce qui les entoure. J’ai eu la chance de ne pas tomber dans un secteur en particulier où je n’étais pas cantonné à une forme de création en soit. Le studio AOC (Atelier Objet Communicant) est plutôt un espace libre ou une passerelle qui accueille des étudiants de différents secteurs. Donc je vois beaucoup de profils différents qui ne sont pas uniquement en lien avec l’art numérique, mais aussi avec le textile, le design, le dessin d’animation, la photo. Je pense qu’il va y avoir une génération de plus en plus transversale face à la question des technologies.
Mon profil de professeur et “technicien bidouilleur” n’est pas toujours facile à expliquer dans une école d’art où la position du professeur n’est plus tellement aujourd’hui de mettre les mains dans le cambouis avec l’étudiant… J’encourage mes étudiants à pratiquer des choses qui pourraient parfois passer pour de l’ingénierie, afin qu’ils soient capables, dans leur approche future, de collaborer plus aisément avec d’autres corps de métier technique et de pouvoir intégrer plus de créativité dans le processus de réalisation d’un projet. On parle aujourd’hui beaucoup de UX designer — UX pour user expérience — dans le monde du numérique. J’aurai tendance à dire que je suis plutôt NUX (“non usual experience”) avec mes étudiants.
Pour revenir à ta propre activité artistique, sur quels autres projets ou vers quelles autres directions te diriges-tu ou aimerais-tu t’orienter ?
J’avais surtout jusqu’à présent une activité d’artiste qui expose dans des foires comme Eniarof, des festivals ou des galeries. J’ai surtout envie de pouvoir communiquer plus largement mon travail quand je pense qu’il en vaut la peine. Aujourd’hui, pour cette raison, les domaines plus larges de l’industrie, du design et de l’architecture commencent à m’intéresser. J’ai toujours des références de créateurs japonais que j’affectionne beaucoup, comme Maywa Denki ou encore Toshio Iwai, qui sont capables de prolonger leur folie créative dans plusieurs domaines à la fois.
propos recueillis par Laurent Diouf
publié dans MCD #80, “Panorama”, déc. 2015 / fév. 2016