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    Capt’n Kurt et le Fablab de Jarry

    à l’abordage de la Covid-19 en Guadeloupe

    Le Fablab de Jarry, premier hackerspace des Antilles situé en Guadeloupe, dans les DOM, existe depuis 2013. Il fonctionne avec ses fonds propres. Capt’n Kurt, fab-manager bénévole raconte l’expérience du Fablab de Larry : « Personne ne donne son prénom ou son nom chez nous, et la légende raconte que le Capt’n Kurt n’a pas d’âge ! ». Le Fablab de Jarry s’est engagé dès le début du confinement dans la fabrication d’un respirateur open source, puis dans le matériel pour protéger les personnels soignants et exposés. Entretien avec Capt’n Kurt.

    Le bus pirate du Fablab de Jarry. Photo: © Fablab de Jarry

    Quel type matériel avez-vous produit ? Qu’est-ce qui vous a encouragé à entreprendre cette action ? Et à vous engager dans cette action ?

    On prône l’autogestion et autosuffisance, un peu à la manière de vrais « Pirates des Caraïbes, version technologie » et une vingtaine de personnes sont sur le pont de manière quotidienne. Nous sommes une quarantaine de personnes. Nous étions dans les premiers à avoir travaillé sur du matériel Covid, avant même le confinement. Nous sommes toujours à la recherche de nouvelles idées d’innovation. On essaie d’être à l’affût de ce qu’il se passe et d’anticiper les besoins de demain. On a tout de suite commencé à se dire « qu’est-ce qu’on pourrait faire pour aider ».

    Ce qui nous intéresse le plus c’est la technique : on a tout de suite commencé à dessiner et à créer un respirateur d’urgence, présenté finalement au CHU de Point-à-Pitre. Ensuite on a aussi suivi le mouvement et on est devenu point central pour les Antilles (voir sur Facebook) en structurant le mouvement makers ici en Guadeloupe, mais aussi en Martinique et en Guyane. Nous avons aussi conçu et réalisé des visières et grabbers imprimées et découpées sur nos machines et mis en relation les couturières locales avec des fournisseurs de matière première.

    Eléments du respirateur prototype conçu par le Fablab de Jarry. Photo: © Fablab de Jarry

    Avez-vous donné ou vendu votre matériel ?

    On a commencé par équiper les soignants gratuitement. Une personne de l’île a monté une cagnotte Leetchi en proposant 8000 € pour faire des visières, mais on a refusé, car ce n’est pas dans les habitudes des pirates de prendre aux pauvres pour donner aux pauvres. C’est une entreprise de l’île qui avait une machine de découpe numérique qui a récupéré la cagnotte au final.

    Nous, on a fait nos visières gratuitement, mais on n’avait pas du stock infini, et on a été confronté au manque de matières premières. On a alors vendu des visières aux communes et cet argent a permis de continuer à distribuer des visières gratuitement aux soignants. Le fablab n’a pas vocation à faire du commerce, et nous avons donc redirigé les demandes d’entreprises privées vers un partenaire qui possède une société capable de leur fabriquer nos modèles de visières. Cette société donne maintenant au lab du temps-machine en échange.

    Visières construites au Fablab de Jarry. Photo: © Fablab de Jarry

    Comment avez-vous pris contact avec les entités locales (entreprises, commerces, hôpitaux) si vous l’avez fait ?

    Nous avons reçu une demande du CHU pour savoir s’il était possible d’imprimer des valves Charlotte et on leur en a imprimé différents modèles. On a produit des prototypes, mais il n’y a pas eu d’utilisation ici en Guadeloupe puisque la pandémie n’a pas été aussi forte que ce qui était prévu. On s’était organisés pour être prêts à imprimer les valves Charlotte. On avait prévu que le plastique d’impression pourrait nous servir à autre chose que des visières et ces dernières on a dès le début préféré les découper dans du plexiglas. Il nous restait donc de quoi imprimer et on a même songé à travailler avec du plastique de récupération !

    Comment vous êtes-vous organisés pour trouver les bons designs ?

    On a tenu à faire nos propres modèles, car on a une contrainte supplémentaire par rapport à d’autres makers – on a une expérience différente, habitué à anticiper le moment où il y aurait une crise de matières premières (car on connaît bien ici), donc on a essayé de faire nos designs avec des modèles qui ne consommaient pas trop de plastique. Ça nous a permis d’obtenir de gros gains sur l’optimisation de matières. Dans une plaque de 2 m², on découpe 100 visières. Ça nous a sauvé la mise, car il y a une pénurie de plexiglas totale en Guadeloupe et l’approvisionnement prend de 2 à 3 semaines. Au pire, on sait où trouver en masse du plexiglas de récupération.

    Exemple de matériel conçu au Fablab de Jarry. Photo: © Fablab de Jarry

    Qu’est-ce que vous a appris cette expérience ?

    Cette expérience est en droite ligne avec l’idée de ce qui m’a motivé à fonder le hackerspace des Antilles au départ – faire un bus « pirate » de technophiles passionnés, sans intérêt économique.

    Il y a encore beaucoup de choses à faire pour changer le monde, mais cette histoire à permis d’apercevoir des alternatives. Dans une telle situation, on aurait du faire des hackathons intensifs pour répondre aux appels à projet organisés par le Ministère de la Défense, et trouver des solutions face à l’extrême urgence.

    Avez-vous rencontré des difficultés ?

    L’organisation était rendue difficile du fait du confinement : chaque membre produisait des visières chez lui et un des membres avait une autorisation pour aller les chercher. Pour le respirateur, un des membres est dans la maintenance industrielle. Ce qui a aidé. Nous avons vu sur internet qu’une société avait modifié des appareils d’assistance contre l’apnée du sommeil pour en faire des respirateurs d’urgence.

    Nous avons pris contact, et on a réussi à obtenir les informations techniques qui ont permis de présenter ce projet à l’hôpital de Pointe à Pitre. Oubliant les problèmes d’homologation, de responsabilité, etc. Ce respirateur a finalement été présenté aux urgentistes locaux, mais il était hors de question de le brancher sur quelqu’un. Notre but premier c’était le côté pédagogique de la chose et de montrer qu’en étant à 8000 km, sans moyens, on arrive à faire de grandes choses.

    Etude pour un prototypage de respirateur au Fablab de Jarry. Photo: © Fablab de Jarry

    Quelles actions à faire demain pour les makers ?

    Pour le mouvement maker, on a été très bon sur nos fonds propres, alors imaginez ce que ce serait demain avec des vrais moyens ? Sans aller jusqu’à avoir un ministre des makers au gouvernement, il suffirait peut-être que « l’esprit maker » soit adopté par nos politiques pour qu’on arrête de penser qu’ils ne servent à rien.

    Quelles valeurs ? Pour quelle société demain ?

    Revendiquer le statut de pirates des Caraïbes ! Penser différemment, et agir ! Dans un fablab, on doit oser, on doit faire des choses ! Prise de conscience globale, maintenant !

    Myriam Hammad
    publié en partenariat avec Makery.info

    En savoir plus sur le Fablab de Jarry.

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