Inscription à la newsletter

    Dada Bot

    l’ère du dadaïsme numérique

    Avec Dada Bot, Nicolas Nova, co-fondateur du Near Future Laboratory et sociologue, accompagné du Lausannois Joël Vacheron, spécialiste des cultures numériques, s’attelle en fin observateur de nos mœurs connectés à démontrer les possibilités créatives offertes par l’omniprésence des algorithmes dans nos vies. Dans cet ouvrage mis en page par le designer Raphaël Verona, les deux complices mettent en lumière — avec des exemples choisis — la fantaisie à l’œuvre derrière la logique mathématique censément irréprochable. Entretien.

    Nicolas, peux-tu nous préciser le sujet de ton dernier ouvrage, Dada Bot ?
    Nicolas Nova : Dada Bot s’intéresse à ce “tournant algorithmique” que connaît la culture actuelle. Ce terme renvoie à la place croissante occupée par les programmes informatiques dans la sélection et la constitution même des contenus : morceaux de musiques, livres, articles de journaux, création en arts visuels, etc. Pour vous donner une idée, environ 20% des changements sur Wikipedia sont le fait de bots, ces petits programmes informatiques qui corrigent et éditent l’encyclopédie collaborative ! En documentant cela par des entretiens avec des artistes, un lexique et diverses expérimentations, nous avons voulu décrire en quoi la création même évolue dans cette situation. En particulier, comment des morceaux de contenus sont hybridés, ré-assemblés de façon automatique avec une ampleur sans précédent. Le tout menant à une sorte de grand remix généralisé, déroutant et curieux.

    Tu abordes l’omniprésence des algorithmes sous l’angle ludique, subversif et artistique. Tu ne sembles pas faire partie de ceux qui s’affolent quant à l’omniprésence de ces “agents” dans nos vies… Pourquoi ?
    Peut-être s’agit-il ici de la posture de neutralité de l’ethnographe qui observe avec curiosité avant de juger ! D’un côté, il y a un aspect intéressant à décrypter, à comprendre les mécanismes et à discerner ce qu’il se passe quand des machines participent de façon croissante à la production culturelle. Cela permet de relativiser les discours d’autonomie pure de la technique, et de montrer le rôle des êtres humains dans ces formes de création. Je suis personnellement moins craintif quant au mode opératoire de ces agents logiciels, que dans les choix de certaines organisations publiques ou privées. Le danger ne vient pas forcément de la technique elle-même, mais des personnes ou des institutions qui lui délèguent toutes sortes de pans de notre vie. De plus, nous n’avons pas abordé d’autres champs que la production culturelle, donc nous ne nous sommes pas prononcés sur d’autres influences des algorithmes au quotidien qui me semblent plus problématiques. Je serais certainement plus critique envers les objets connectés dans le champ de la santé, par exemple.

    En tant que sociologue, comment t’es-tu dirigé vers l’étude des technologies et leur impact sur nos vies ? Des sujets que tu scrutes également au sein de l’agence Near Future Laboratory…
    Après des études scientifiques (sciences de la vie, sciences cognitives), je me suis rapproché du champ du design, avec un intérêt pour la manière dont les gens utilisent les technologies. En particulier le numérique, avec à la fois un travail académique de doctorat sur les enjeux et opportunités posés par la géolocalisation, et en travaillant avec des studios de jeu vidéo, des industriels, des organisations publiques. Le point commun de tout ce petit monde étant de s’interroger sur les changements que le numérique pourrait apporter à l’existence. Si je devais décrire ma pratique actuelle, ce serait celle d’un ethnographe des technologies numériques, qui s’intéresse non seulement aux pratiques et usages actuels, mais également aux changements à venir. Ce que je fais aussi avec Near Future Laboratory, dont l’objectif est d’éclairer la compréhension du présent pour mieux appréhender les futurs possibles. Nous opérons au croisement de la prospective (imaginer demain), de la technologie, et des sciences sociales.

    La mise en page de Dada Bot et le choix des exemples dénotent aussi d’une volonté d’être “en phase” avec le sujet. Ton essai, par exemple, est morcelé en petits chapitres dispersés, il y a un effet “Lost in data”. C’est délibéré ?
    Complètement. Un des aspects traités dans l’ouvrage correspond au réassemblage — au remix — permanent qui a lieu avec ces programmes. Ceux-ci vont hybrider et transformer automatiquement des morceaux de contenus. On le voit avec les Twitter Bots ou des créations musicales comme celles de Dadabot industries. Le designer graphique, Raphaël Verona, a choisi de marquer cela explicitement dans la mise en page et la (dé)structuration du livre. Il y a un côté jubilatoire ou transgressif à faire cela, par exemple en plaçant un lexique en plein milieu d’un ouvrage. Mais nous ne sommes évidemment pas les seuls à procéder ainsi. C’était plus une manière de marquer le caractère hybride et éclaté de ces cultures.

    L’algorithme a cela de fascinant que, au lieu d’incarner un lissage de l’esthétique et de l’information, au contraire, il inspire des artistes pour produire du bug et encore plus de chaos. J’imagine que ça t’amuse beaucoup…
    En effet, il y a un côté jubilatoire à observer cela. Comme le disait Alan Turing, Machines take me by surprise with great frequency. Les dérapages, les bugs et toutes ces étrangetés produites par les objets techniques me fascinent. Cela nous en montre les limites et les imperfections. Les bots twitter m’intéresse énormément, j’en suis plusieurs. Observer ce qu’ils produisent sur les réseaux sociaux — car c’est là qu’ils “s’expriment” le plus — est une bonne manière de se rendre compte de ces phénomènes, de saisir la diversité de ces manifestations machiniques, et d’en comprendre la logique sous-jacente.

    Tu es aussi à l’origine d’une exposition, Culture Interface : Numérique et Science-Fiction, qui se tient à la Cité du Design jusqu’en août 2016, où on trouve pêle-mêle extraits de films de science-fiction, brevets et designs d’interface, prospective…
    J’ai été sollicité par Ludovic Noël, le directeur de la Cité du Design, pour être commissaire d’une exposition sur le sujet des interfaces. Il m’a alors paru pertinent d’aborder la proximité entre les représentations de la science-fiction et les prototypes ou produits conçus par les designers d’aujourd’hui. C’est assez évident quand on observe à la fois les imaginaires convoqués dans les médias, et par ces mêmes designers dans leur travail. C’est un thème sur lequel je travaille depuis un certain temps, à la fois en lien avec mes enseignements et dans le cadre des projets du Near Future Laboratory sur ce que j’appelle le design fiction. C’est un sujet que j’ai rarement vu abordé sous forme d’une exposition. Il y avait là une opportunité intéressante. Le fait de montrer cette influence réciproque, en montrant directement ces aspects par une scénographie adaptée, me motivait tout particulièrement. Et cela, de façon plus systématique — j’ai un regard d’ethnographe — en prenant des catégories d’objets (visiocasques, interfaces gestuelles, neurocasques) dépliées ensuite sous la forme d’extraits de films, de projets historiques ou récents, et d’images de brevets. Le croisement de toutes ces représentations permet de constater les vas et vient entre les imaginaires et la création.

     

    propos recueillis par Maxence Grugier
    publié dans MCD #81, “Arts & Sciences”, mars / mai 2016

    Nicolas Nova et Joël Vacheron, Dada Bot, Essay about the hybridization of cultural forms (music, visual arts, literature) produced by digital technologies (IDPURE éditions, 2015). www.idpureshop.ch

    Articles similaires