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    Émilie Brout & Maxime Marion

    Émilie Brout & Maxime Marion, The Road Between Us (détail). Photo: D.R.

    / Après avoir étudié dans les écoles d’art de Nancy et d’Aix-en-Provence, nous avons tous deux rejoint en 2007 le laboratoire de recherche EnsadLab de l’école des Arts Décoratifs de Paris. Nous y avons réalisé une première pièce, The Road Between Us, et nous avons continué à travailler ensemble depuis, de manière assez naturelle. Notre champ de recherche porte principalement sur la confrontation des spécificités de l’analogique (continuité, sentiment de réalité…) à celles du numérique (discrétisation et recomposition de l’information, dynamisme, générativité, etc.). Nous cherchons ainsi souvent à synthétiser, donner une verticalité à des documents hétérogènes issus de bases de données en ligne (photographie vernaculaire sur Flickr, vidéos YouTube…) via des dispositifs narratifs ou plastiques; et inversement, à rendre dynamique des médias traditionnels tels que le cinéma.

    La plupart de nos travaux ont demandé un important temps de réalisation, comme Google Earth Movies, réunion d’une dizaine d’extraits de films reproduits précisément dans le logiciel Google Earth sur leurs véritables lieux de tournage, ou encore Dérives, montage génératif d’un film sans fin à partir de 2000 extraits cinématographiques contenant de l’eau. Souvent sous forme de logiciels, ces projets peuvent disposer de plusieurs versions et évoluer dans le temps. Nos pièces ont obtenu le soutien d’institutions telles que le DICRéAM, le FRAC Aquitaine ou la fondation François Schneider, et nous sommes représentés depuis l’année dernière par la galerie 22,48 m2 à Paris.

    // Ce qui est assez saisissant aujourd’hui, c’est le retour de la figure de l’amateur, comme le souligne justement Bernard Stiegler. On trouve sur Internet des supercuts ou des montages vidéo de parfaits anonymes qui rivalisent parfois en qualité avec des chefs-d’œuvre d’artistes tels que Christian Marclay. La démocratisation des outils de création et de diffusion donne les moyens à presque tout un chacun de produire et de montrer ses travaux. Ce phénomène oblige d’ailleurs les artistes à s’interroger sur leur propre statut, leur responsabilité et la portée de leur production… Un autre aspect remarquable est la facilité des échanges et des interactions que l’on peut avoir, et surtout l’aisance à se réapproprier les contenus. L’original n’est plus qu’une version parmi tant d’autres, comme l’a bien démontré Oliver Laric.

    À ce propos nous avons créé le Copie Copains Club avec Caroline Delieutraz (www.delieutraz.net). Ouvert à tous les créateurs, mais sous certaines contraintes précisées dans le manifeste, le site www.copie-copains-club.net réunit plus d’une centaine de projets et leurs “copies”. Par copie nous entendons plutôt réinterprétation ou détournement, dans une approche légère qui relève de l’hommage, du cadeau et non d’une atteinte à la propriété intellectuelle. Il s’agit d’un moyen d’échange et de discussion par œuvres interposées entre les quelques 80 membres actuels du club, qu’ils soient novices ou reconnus, créateurs geek ou artistes contemporains.

    Copie Copain Club. Photo: D.R.

    /// Concrètement, cette dynamique “création numérique / lien social” se traduit déjà par une mise en œuvre facilitée : avec l’esprit d’échange qui règne autour des pratiques DIY ou des licences libres, il est beaucoup plus aisé de travailler avec des technologies souvent émergentes voire expérimentales. Nous utilisons principalement des outils open-source, et il y a toujours quelqu’un prêt à vous aider sur un forum lorsque vous rencontrez une difficulté, ou tout simplement pour partager ses connaissances sur Twitter par exemple et ainsi enrichir votre veille. Il y a également de plus en plus d’initiatives en ligne qui facilitent la diffusion des œuvres, sous forme d’expositions en ligne comme www.mon3y.us de Vasily Zaitsev par exemple, ou de projets participatifs dans lesquels s’inscrit entre autres le Copie Copains Club, qui dispose d’ailleurs de sa propre licence.

    Nous avons aussi animé des ateliers autour de notre pratique, par exemple comment exploiter Google Earth à des fins esthétiques, et travaillons avec des structures telles que Médias-Cité ou Passeurs d’images qui font un vrai travail de sensibilisation. Les outils qu’utilisent les artistes travaillant avec les nouveaux médias sont souvent bien connus des spectateurs, même s’ils ne réalisent pas toujours toutes les conséquences que ces outils impliquent. Leur rapport à l’œuvre — et au monde qui les entoure — s’en trouve peut-être modifié; nous attachons en tous cas beaucoup d’importance à la médiation et à ces moments d’échange.

    //// Le lien social est certainement une des finalités propres à tout type de création, et ce peu importe son médium. En revanche nous avons maintenant accès à des données intimes en quantité astronomique via les API des différents webservices, que nous pouvons exploiter comme un matériau brut. The Road Between Us emploie par exemple des photographies géolocalisées sur Flickr pour générer des voyages imaginaires dans Google Earth, réunissant plusieurs utilisateurs au sein d’un même périple et confrontant leur point de vue personnel à celui de la carte. Parce qu’ils ont parcouru les mêmes espaces, généralement à des moments très différents, ces personnes se retrouvent être les acteurs de micro-fictions éphémères. Au début du projet, nous avions publié un certain nombre de ces parcours fictifs en ligne et avions notifié les personnes qui y étaient présentes, en les remerciant pour ce beau voyage. Les réactions étaient très positives, ces personnes étant le plus souvent surprises de découvrir leurs souvenirs mêlés à d’autres de manière cohérente.

    À l’inverse, nous avons également travaillé avec des extraits cinématographiques qui relèvent de l’imaginaire collectif. Dans l’installation Hold On par exemple (actuellement présentée dans l’exposition Play/display à la galerie 22,48 m2), tous les extraits sont volontairement très populaires. Nous nous sommes aussi intéressés à la manière dont des moments cultes de cinéma pouvaient influer sur notre quotidien, en réunissant des dizaines de vidéos intimes où des personnes ventriloquaient la scène culte de la révélation de la paternité de Darth Vader à Luke Skywalker dans Star Wars V.

    Émilie Brout & Maxime Marion, Hold On, @ Bouillants #5, avril/juin 2013. Photo: D.R.

    ///// Nous travaillons actuellement à un projet d’envergure dont le support sera le réseau social Facebook, et plus particulièrement son tissu social, pour le début de l’année prochaine. Nous avons également commencé un projet de film d’animation génératif basé sur des photographies issues de médias sociaux, enchaînées à un rythme de 25 images par secondes selon des correspondances formelles. Chaque nouvelle image du film est sélectionnée en fonction de la précédente par un algorithme : ainsi si un rond jaune était présent, notre logiciel va parcourir le web pour trouver une autre image contenant un rond jaune, et ainsi de suite. Le but est d’obtenir un rendu qui peut rappeler les œuvres d’Oskar Fischinger ou Len Lye, où certaines formes simples évolueraient de manière extrêmement fluide, tandis que le reste de l’image présenterait un clignotement chaotique d’où seraient perceptibles des moments de vie intime de manière quasi subliminale.

    publié dans MCD #72, “Création numérique & lien social”, oct. / déc. 2013

    > http://www.eb-mm.net/

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