Archéologies d’un monde numérique
L’inauguration ce vendredi 13 décembre du deuxième volet de l’exposition Jusqu’ici tout va bien ? nous donne l’occasion de revenir sur cet événement central de la biennale Nemo. Sous-titrée Archéologies d’un monde numérique, cette manifestation est une porte vers le futur qui nous attend si nous ne changeons pas de paradigme civilisationnel. En résumé : après le grand effondrement, les machines continuent de tourner et l’homme n’est plus qu’une hypothèse pas même nécessaire… Aperçu de ce futur dystopique au travers de quelques œuvres présentées au CentQuatre jusqu’au 9 février.
La figurine qui orne l’affiche de cette exposition est assez surprenante. En fait, c’est une tête posée sur un plateau. Un visage plastique qui nous observe, réagit à nos mouvements et nous fait des clins d’œil. Conçu par Takayuki Todo, SEER (Simulative Emotional Expression Robot) est à ce jour l’androïde qui présente le plus d’expressions faciales (étonnement, sourire, etc.). Une animation troublante, comme un avant goût de cette fameuse vallée de l’étrange (uncanny valley) qui nous saisira lorsque les robots humanoïdes seront presque à l’identique de nous. En attendant, dans l’industrie, la majorité des robots ne sont que des bras articulés. Nombre de créations ont déjà été réalisées en détournant cette machine-outil. Ainsi, à la suite du collectif Robotlab (Bios) par exemple, Filipe Vilas-Boas condamne cette machinerie à écrire sans fin “I must not hurt humans” (The Punishment). Une damnation éternelle qui fait écho aux lois de la robotique édictées par Asimov dès les années 40. Autre déclinaison de ce détournement : Optimisation Of Parenthood d’Addie Wagenknecht. Ici, le contraste est saisiant entre la mécanique répétitive du bras qui berce un vieux landau…
Avec la robotique, l’autre grand thème qui traverse cette exposition est l’urbanisme. Mais dans ce cadre, ce sont surtout des villes fantômes à l’image de l’installation vidéo de Hugo Arcier, Ghost City, qui reprend le moteur du jeu GTA en le dépouillant de tout décor et de toutes couleurs. Il n’en subsiste que la trame décharnée, dénuée de toute présence humaine, qui tourne dans le vide. C’est aussi un paysage urbain désolé, dévasté, en noir et blanc, que l’on survole avec Alain Josseau (Automatique War). Cette installation se compose de maquettes balayées par de petites caméras qui retransmettent leurs images sur plusieurs écrans. Le rendu est saisissant, on observe avec les yeux d’un drone les effets de bombardements sur différents théâtres d’opérations… Thomas Garnier met également en scène une maquette animée (Cénotaphe). Cette sorte de Sim City en noir et blanc et en 3D est une métaphore des “éléphants blancs” et autres projets immobiliers qui restent à l’état de ruines faute d’avoir été achevés. On pense aussi à une maquette ou des réalisations en Lego en contemplant les assemblages de Kristof Kintera. Conçu avec une multitude de composants électroniques, Post-naturalia évoque une jungle à la fois organique et numérique. En vis-à-vis, Out of PowerTower se dresse comme une tour de Babel, une Métropolis entièrement fabriquée avec des piles usagées !
Ces paysages crépusculaires s’accordent bien avec la bande-son émise par l’installation de Michele Spanghero, Ad Lib : actionné par un respirateur artificiel, un orgue émet un son lancinant, hypnotique, qui tourne en boucle comme un mantra, évoquant les complaintes de la Buddha Machine du duo FM3… On reste dans l’étrange avec L’objet de l’internet du Projet EVA. Pour le moins low-tech, ce dispositif mobilise un jeu de miroirs et des spots. Une voix robotique égrène quelques infos en anglais. Le spectateur est alors invité a se glisser à l’intérieur de l’objet qui ressemble presque à un instrument de torture. La tête du cobaye volontaire étant immergée au milieu des prismes et des lumières qui changent de couleurs au fil de la rotation du dispositif. En action, on dirait une antique machine à voyager dans le temps… L’idée étant, littéralement, de faire tourner la tête du “client”, sur le modèle de la Dreammachine de Brion Gysin. Mais l’expérience ultime de cette exposition est due à Alexandre Schubert. Son installation audio-visuelle Solid State repose sur deux ingrédients : de la fumée et une lumière stroboscopique intense. Une recette éprouvée notamment par Ulf Langheinrich (Lost) et Kurt Hentschläger (Feed). Certains d’entre nous se souviennent aussi de la fin d’un concert de Coil en 2001 particulièrement intense… Mais Solid State est encore plus virulent. Malgré une certaine pratique de ce genre d’expérience, nous sommes restés au seuil de la première pièce sans pouvoir déambuler plus loin, sans atteindre les limites de ce chaos visuel…
Laurent Diouf
Jusqu’ici tout va bien ?, Archéologies d’un monde numérique
> exposition jusqu’au 9 février, du mercredi au dimanche, CentQuatre, Paris
> http://www.104.fr/fiche-evenement/jusqu-ici-tout-va-bien.html