Lorsque l’on évoque l’hybridation entre la science du vivant et l’art à l’ère du numérique, il ressort immédiatement un nom : Eduardo Kac. Avec ses manipulations transgéniques “empruntées” à l’INRA qui rendent un lapin vert fluorescent, il est devenu le symbole du bio-art; sans que l’on mentionne par ailleurs les interrogations et controverses liées à une telle collusion… Eduardo Kac figure, bien évidemment, dans le tableau mis en exergue de l’exposition La Fabrique Du Vivant, présentée au Centre Pompidou.
Une sorte de galerie de l’évolution de la création artistique liée aux biotechnologies qui, dans un panoramique vertigineux, relie Mary Shelley (Frankenstein) et les biohackeurs qui proposent désormais des kits de modification génétique. Cet historique affiché rappelle aussi l’existence de précurseurs, telle Marta de Menezes qui réalise en 1999 une œuvre basée sur des manipulations morphogénétiques sur les ailes d’un papillon vivant. Ces balises remettent en perspective les pièces, récentes pour la plupart, présentées par les commissaires de l’exposition, Marie-Ange Brayer et Olivier Zeitoun.
À rebours de ce que l’on pourrait supposer, les dizaines de créations rassemblées pour cette exposition ne reposent pas toutes à 100% sur des protocoles high-tech. Certaines ne font que s’inspirer du design, des structures et de la texture du vivant. À l’image des AguaHoja Artifacts de Neri Oxman & The Mediated Matter Group accrochés à un mur comme des trophées. Avec leurs nervures, ces échantillons de matériaux biodégradables “forgés” par imprimante 3D ressemblent à des mues de serpents…
La plupart des pièces, cependant, font appel à des composants, des procédés ou des propriétés issus du monde organique, végétal ou animal. L’utilisation de biomatériaux permettant de jouer sur la lumière, la couleur… de concevoir des objets capables d’évoluer (!) et de répondre à l’exigence écologique de notre époque… d’ouvrir d’autres champs à l’innovation… Émanant d’artistes et de travaux de laboratoires, l’exposition s’articule sur 4 volets : Modéliser le vivant, Programmer le vivant, Ingénierie de la nature et Nouvelles matérialités.
Parmi les réalisations, citons notamment la lampe bioluminescente du designer Joris Laarman qui intègre des cellules de lucioles et est, de fait, un objet “semi-vivant” (Half Life Lamp). Dans un registre voisin, des algues sont à la source du fonctionnement de la lampe biocomposite d’Alexandre Echasseriau (Akadama) et de l’installation bioluminescente de Daan Roosegaarde (Glowing Nature). Prisonnières dans des boîtes de Petri où leurs propriétés (bioréceptivité, biophotovoltaïque, bioremédiation) sont misent en valeur, ce sont encore des algues qui sont utilisées par Bio-ID alias Marcos Cruz & Brenda Parker (Robotically extruded algae-laden hydrogel).
Des algues et des semences servent aussi de traceurs à Allison Kudla pour dessiner via une bio-imprimante 3D un paysage basé sur un algorithme de croissance végétale appliqué au développement urbain (Capacity for (Urban Eden, Human Error)). Les champignons sont également très prisés pour les propriétés du mycélium qui permet, par exemple, de souder de petites briques et d’élaborer des structures complexes et imposantes comme celles conçues par l’architecte David Benjamin (studio The Living), ou de fabriquer des objets comme des chaises par sédimentation et impression 3D (Mycelium Chair du studio Klarenbeek & Dros).
Même principe pour le projet XenoDerma développé par l’équipe de l’Urban Morphogenesis Lab qui utilise la soie de toiles d’araignée contrainte dans des armatures géométriques. Cette mise à contribution “forcée” est aussi appliquée aux abeilles dans la série Made By Bee de Tomáš Gabzdil (Studio Libertiny). Comme d’autres artistes pratiquant l’api-sculpture (Ren Ri, Stanislaw Brach, Luce Moreau, etc.), Tomáš Gabzdil préforme le cadre de l’activité des abeilles qui se font designers à leur insu et conçoivent ainsi des formes et des objets en cire selon la matrice fournie; ici en l’occurrence des vases (The Honeycomb Vase).
Sonja Bäumel & Manuel Selg ont choisi de s’intéresser aux bactéries colportées par l’homme (Metabodies). C’est la croissance et le “langage” de ces bactéries, que chacun héberge sur sa peau, qui sont rendus visibles grâce à l’ajout de GFP; la fameuse protéine verte fluo qu’utilise aussi Eduardo Kac. Rappelons qu’il a aussi injecté de l’ADN extrait de son sang dans une fleur (Edunia). Dans le genre, Špela Petrič injecte des hormones extraites de son urine dans le tissu embryonnaire d’une plante qu’elle place ensuite dans des sortes de couveuses où l’on peut observer l’évolution de ces chimères (Ectogenesis: Plant-Human Monsters).
Mais la pièce la plus surprenante est peut-être celle d’Amy Karle au titre plus qu’évocateur : Regenerative Reliquary. Là aussi, on observe au travers d’une sorte de bocal le squelette 3D d’une main, reconstitué à partir de cellules souches déposées sur une armature en matière biodégradable. Dans l’absolu, même si le temps d’une exposition reste trop peu important pour en mesurer pleinement les variations, cette relique futuriste se développe et donne l’impression, à terme, d’une croissance millimétrée et maîtrisée…
La Fabrique Du Vivant marque le troisième volet de Mutations / Créations, manifestation annuelle du Laboratoire de la création et de l’innovation du Centre Pompidou — auquel se rattache aussi la monographie de l’artiste brésilienne Erika Verzutti — et se parcourt aux sons de l’installation du compositeur Jean-Luc Henry, Biotope. Par intervalle, surgissent comme des cris d’animaux dans une jungle imaginaire et d’autres bruits incertains… Un dispositif interactif réagissant en fonction des visiteurs de l’expo; fruit d’un partenariat avec l’Ircam, comme le forum Vertigo qui réunit des universitaires, scientifiques, artistes et ingénieurs.
Au menu de ces rencontres art / science qui auront lieu du 27 au 30 mars, une présentation de projets réalisés dans le cadre des STARTS Residencies, programme européen de résidences artistiques liées à l’innovation technologique, un colloque (Composer avec le vivant), des tables rondes et débats avec des universitaires, chercheurs, ingénieurs et artistes autour des problématiques du design en science, de la modélisation du vivant, des biomatériaux, du génie génétique… En bonus, des concerts associés le 28 mars siglés Ircam Live qui verront notamment Robin Rimbaud alias Scanner qui réinterprétera Mass Observation (à l’origine, un album techno-ambient / electronica expérimentale paru, après ses premières captures de conversations, en 1994 sur Ash International et récemment réédité en version extended).
Laurent Diouf
Photos: D.R.
> La Fabrique Du Vivant, exposition du 20 février au 15 avril, Galerie 4 – Centre Pompidou, Paris
> Forum Vertigo, colloque, débats et concerts, du 27 au 30 mars, Centre Pompidou, Paris
> https://www.centrepompidou.fr