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    Yes Men

    Ironiquement baptisés Yes Men (“béni-oui-oui”) à leur création au début des années 90, Andy Bichlbaum et Mike Bonanno (alias Jacques Servin et Igor Vamos) n’ont cessé depuis d’intervenir dans le champ de la communication, électronique ou non, afin de délivrer leur vision sarcastique du monde en dénonçant les excès du libéralisme et son impact sur la géopolitique, l’économie, la politique intérieure et les médias. Avec leur look de cadres corporate, Servin et Vamos forment un duo de spécialistes du canular politique dont les actions, fort nombreuses, continuent régulièrement de moquer les gouvernements et les multinationales.

    The Yes Men, intervention lors de la conférence sur le pétrole du Canada le 14 juin 2007

    The Yes Men, intervention lors de la conférence sur le pétrole du Canada le 14 juin 2007. Photo: D.R.

    Costumes trois-pièces et lunettes d’économistes, nul de dirait à les voir pour la première fois qu’Andy Bichlbaum et Mike Bonanno sont de dangereux activistes comiques, poussant l’économie libérale dans ses retranchements les plus absurdes. L’establishment en effet, est la cible numéro un de ce duo. Une équipe qui a choisi l’humour comme mode opératoire, et qui vise depuis près de quinze ans les tenants du pouvoir, qu’il soit économique ou politique, local ou transnational. À eux deux, Bichlbaum et Bonanno (nommé ainsi parce que cela sonnait plus “hommes d’affaires et décideurs”) sont les auteurs de très nombreuses mises en scène visant les travers de notre société. Leur recette ? Reprendre les grandes idées du libéralisme économique, s’inspirer de la ligne du parti conservateur, ou appuyer les décisions des instances mondiales (OMC, BIRD – la Banque Mondiale, ou encore le FMI) de façon tellement jusque-boutiste et outré qu’elles en deviennent à la fois inapplicables et ridicules.

    Le canular au rang d’œuvre d’art
    Le canular, chez Bichlbaum/Servin et Bonanno/Vamos, est une arme de destruction massive des valeurs mortifères du capitalisme à outrance, du libéralisme excessif et en général, de l’égoïsme (et l’égotiste) des pays économiquement “dominants”. Symbole de ce libéralisme économique, l’OMC fut régulièrement la cible de ses blagueurs à visées politiques. En mai 2000, en Autriche, Andy Bichlbaum intervient par exemple sous le pseudonyme germanisé d’”Andreas Bichlbauer”, et fait une conférence alarmiste sur l’avenir économique des pays développés. Pendant quelques heures, des professionnels de l’économie assisteront médusés au discours complètement fou d’un spécialiste en réalité très heureux de rouler son public dans la farine.

    On leur doit également des initiatives l’éradication de certaines coutumes en vue d’une meilleure rentabilité économique. Ils proposeront, par exemple en 2001, d’interdire les siestes coutumières en milieu de journée, comme il est courant de le pratiquer en Espagne… En 2001, lors d’une autre conférence, ils proposeront le recyclage des excréments de l’Occident pour les transformer en nourriture à destination du tiers-monde. Il est amusant de noter que, la plupart du temps, leurs interventions ne recueillent aucune réaction négative. Preuve que ces interventions sont des œuvres d’art pérennes pour les Yes Men, elles sont filmées, et vendues aux amateurs. Ce qui génère à la fois une source de revenus pour ces activistes aux multiples casquettes, mais est aussi un clin d’œil ironique aux engouements aléatoires du marché de l’art contemporain.

    The Yes Men, Gilda. La mascotte dorée symbolisant par l'absurde la prise de risque calculée; présentée le 28 avril 2005 à Londres lors d'une conférence réunissant des banquiers.

    The Yes Men, Gilda. La mascotte dorée symbolisant par l’absurde la prise de risque calculée; présentée le 28 avril 2005 à Londres lors d’une conférence réunissant des banquiers. Photo: D.R.

    La chasse aux têtes de Turc
    Parmi les figures publiques auxquels ils se sont régulièrement attaqués, on trouve George W. Bush Jr. durant ses deux mandats, mais aussi le Français Patrick Balkany, alors maire UMP de Levallois-Perret, qu’ils piègent en 2005 à la télévision (1), le laissant déclarer que les pauvres vivent très bien à Paris (2). Les activistes se frottent également aux multinationales et aux grands consortiums financiers, comme ExxonMobil, Halliburton ou Dow Chemicals; avec le fameux épisode de la mascotte Gilda, un squelette plaqué or, censé représenter les dévastations — acceptables et profitables, les os sont couverts d’or — du géant mondial de la chimie. Les institutions étatiques et les administrations sont également visées. C’est le cas de la chambre de commerce des USA, du gouvernement canadien (considéré par le duo comme le plus hypocrite de la terre) ou encore du gouvernement israélien. Concernant Israël, les Yes Men font campagne avec le slogan For Once The Yes Men Says No ! (Pour une fois les Yes Men disent non !) et boycottent le Festival International du film de 2009, une manifestation qui devait accueillir leur film documentaire récompensé, The Yes Men Fix the World (Les Yes Men refont le monde) (3).

    The Yes Men Fix the World 
    Actifs et réactifs, les Yes Men “réparent” le monde en effet. Ou tout du moins, essaient… Après l’Ouragan Katrina, l’un des deux Yes Men monte une opération de communication. Se faisant passer pour un membre du ministère du logement, il annonce la réouverture des logements sociaux, provoquant l’embarras du gouvernement qui devra démentir, et l’ire de la population. Spécialistes de la communication, les Yes Men excellent dans la production de faux documents. En 2008, ils font distribuer dans la rue un exemplaire factice du New York Times annonçant la fin de la guerre en Irak et l’inculpation de Georges Bush pour “haute trahison” (4). Une édition pirate éditée à un million d’exemplaires (5).

    Les Yes Men dénoncent également régulièrement l’hypocrisie de mesures qui se veulent moralement justifiables, même si l’on sait qu’elles ne seront pas appliquées dans la réalité. C’est le cas du Pacte écologique de Nicolas Hulot. Une initiative qui aurait dû remporter leur suffrage, mais qui, au vu de la tiédeur des mesures, ne fera qu’inspirer ces deux comiques corporate. Pour l’occasion, ils endossent une fois de plus le costume de leurs ennemis et se font passer pour des journalistes ultraréactionnaires, piégeant successivement Claude Goasguen, Claude Bartolome et Jean-Marie Cavada. Seul ce dernier se doutera d’ailleurs de quelque chose, critiquant des mesures comme “le transport de glace par avion vers le Groenland” pour sauver la banquise. Les autres ne broncheront pas.

    The Yes Men. "The Yes Men Fix the World". Capture d'écran.

    The Yes Men. “The Yes Men Fix the World”. Capture d’écran. Photo: D.R.

    Lancement du Yes Lab
    Toujours très occupés, les Yes Men s’étoffent et lancent aujourd’hui le projet Yes Lab (6), ainsi que l’Action Switchboard, une plateforme en ligne où le duo met à profit l’imagination de leurs fans désormais nombreux, pour leur proposer des idées et des projets. Crée en 2010, le Yes Lab propose une série de brainstormig et de formations destiner à former, et aider, d’autres groupes d’activistes proches des méthodes de Bonano et Servin, dans la réalisation de projets qui leur sont propre. Plus militant que jamais, le duo sort également un nouveau film, The Yes Men Are Revolting, un titre à double sens (les Yes Men sont aussi révoltés qu’ils se révoltent) pour un film qui documente les cinq dernières années d’activisme de ce duo politique à sa manière, et qui prend bien évidemment encore une fois à contre-pied les codes de la communication entrepreneuriale et gouvernementale, les repoussant toujours plus loin dans l’absurde, dans une hystérie paroxystique typique de notre époque.

    Maxence Grugier
    publié dans MCD #77, « La Politique de l’art », mars / mai 2015

    > http://theyesmen.org

    (1) www.youtube.com/watch?v=YvprI1yghJU

    (2) http://tempsreel.nouvelobs.com/medias/20051117.OBS5561/balkany-les-pauvres-vivent-tres-bien.html

    (3) http://theyesmenfixtheworld.com/).

    (4) www.lefigaro.fr/elections-americaines-2008/2008/11/12/01017-20081112ARTFIG00668-la-guerre-en-irak-est-finie-annonce-un-faux-ny-times-.php

    (5) http://nytimes-se.com/todays-paper/NYTimes-SE.pdf

    (6) www.yeslab.org

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