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    Art Avatar 2

    les mondes virtuels de Pia MYrvoLD

    Après avoir présenté ses œuvres interactives en 3D au Centre Pompidou à Paris en 2014, Pia MYrvoLD en propose une deuxième “version”, reconfigurée, à la Vitenfabrikken de Sandnes en Norvège. Dans le hall de ce lieu dédié à l’art et à la science, dans un esprit proche de celui de La Villette, on retrouve Stargate. Une porte heptagonale où défilent en boucle des images de synthèse colorées. Mais tout se passe à l’étage, dans une salle obscure. La luminosité des écrans se détache dans la pénombre. Les couleurs éclatent. Les formes se démultiplient. Les avatars tournoient. Les dispositifs de contrôle nous attendent. Nous sommes au cœur de la machine…

    Art Avatar 2 est plus qu’une exposition; ou plutôt ce n’est pas uniquement une exposition. Ici, il ne s’agit pas seulement de contempler les installations numériques de Pia MYrvoLD, mais littéralement de s’impliquer dans cet univers graphique au contour changeant. D’emblée, le visiteur est invité à participer à l’élaboration de ces créations évolutives. Le processus est simple : via une petite interface, en quelques clics et modifications de paramètres, on peut créer un avatar. De forme ovoïde, évoquant quelques créatures des abysses, doté d’excroissances tentaculaires ou de filaments réactifs, cet avatar rejoint ensuite une galerie d'(auto)portraits qui s’étoffe au fil des participants.

    Première étape, en activant l’avatar via une carte à puce, on a la possibilité de danser avec notre double numérique. L’effet est saisissant. Dans un espace assez lounge, délimité par deux panneaux de projection vidéo, on se retrouve en face-à-face avec notre créature… Synchronisée sur nos mouvements, la “chose” s’anime, s’avance, pivote et ondule au gré de nos gesticulations. Une bande-son, également modulable selon les paramètres choisis, achève de nous embarquer vers le futur. Au passage, soulignons une fois encore le grand rôle que “joue” la musique, généralement post-industrielle, dans ce type d’installation. Que ce soit des loops ou des patterns plus séquencés, plus rythmés, ce n’est pas un simple habillage sonore, cela renforce le processus d’immersion. Un tapis de sol reprenant les motifs du décor 3D complète par ailleurs l’immersion dans ce monde virtuel, en jouant sur l’effet de continuité avec le monde réel.

    Ensuite, dans un deuxième temps, à un autre endroit, les avatars viennent peupler une sorte de parc virtuel dans lequel on peut se télétransporter, se déplacer, se perdre… Au fur et à mesure de la durée de l’expo, cet espace miroir s’étoffe, passant d’un paysage assez vide à un décor augmenté, en évolution constante. Et l’on peut même y recroiser son propre avatar au détour d’une pérégrination… Même si ce n’est pas l’intention première, on ne peut s’empêcher de penser qu’un casque VR aurait permis de prolonger cette expérience unique en se plongeant complètement (définitivement ?) au sein de ce jardin d’Eden 2.0 qui évoque aussi quelques recoins oubliés de Second Life.

    Reste que le fait de donner la possibilité au public de créer des avatars et de les intégrer dans une œuvre qui, de fait, devient “plurielle” dépasse, de loin, la simple interactivité que l’on retrouve généralement dans les créations artistiques de l’ère digitale. Pour désigner ce processus, au terme “co-création”, on préféra toutefois parler de dialogue et d’horizontalité entre l’artiste et le “visiteur-créateur”… Un protocole qui correspond bien aux modalités de la révolution informatique qui va à l’encontre de toute verticalité, qui offre une échappatoire à esthétique surplombante de l’art “classique” que l’on ne peut que contempler.

    Par ailleurs, et c’est également essentiel, les modalités de cette création/intervention des visiteurs ré-implique le mouvement et le corps, trop souvent “absents” dans la relation aux œuvres. De plus, cet aspect ludique et performatif gomme l’aspect narcissique que l’on pourrait penser être prégnant dans ce rapport à notre avatar. Mais plus que Narcisse, à la suite de la philosophe et professeure d’esthétique Christine Buci-Gluckmann, c’est la figure de Protée qui nous semble plus pertinente pour symboliser les créations de Pia MYrvoLD. Outre la danse pour laquelle cette divinité grecque est parfois associée, c’est surtout ses capacités à se métamorphoser à l’infini qui résonne au regard des formes et figures génératives qui occupent les écrans.

    Une constance dans les créations de Pia MYrvoLD, comme on peut le constater au travers des autres œuvres réunies pour Art Avatar 2. C’est tout un bestiaire fluctuant et coloré, une galerie de formes mouvantes telles des créatures marines, des vers à soie enroulés dans leur fil, des grappes de mercure en suspension, des monstres aquatiques, des geysers qui explosent au ralenti ou entités extraterrestres qui lévitent sur les écrans agissant comme des miroirs démultipliés. Dans cette expérience visuelle sans cesse renouvelée, ces peintures et sculptures 3D conservent des rondeurs rassurantes, même si parfois quelques excroissances anguleuses et déplacements intempestifs peuvent paraître menaçants. La raison de cette “bienveillance” esthétique tient sans doute à la figure de la déesse-mère, aux Vénus chères à Pia MYrvoLD.

    Conçu avec l’aide technique de Yann Minh (artiste cyberpunk et pionnier des métavers, cf. MCD #33 et MCD #59) et Éric Wenger (artiste programmeur et designer sonore), Art Avatar s’inscrit dans le parcours artistique de Pia MYrvoLD. Révélée dans les années 80/90s pour son approche pluridisciplinaire (vidéo, design, musique électronique, multimédia, vêtements connectés…), elle opte ensuite pour une approche plus poussée vers les techniques de l’animation 3D, de l’interactivité, de l’immersion. Et surtout du virtuel qu’elle considère, au-delà de la question des nouvelles technologiques, comme le schème, la condition sous-jacente de toutes créations et représentations mentales; qu’elles soient artistiques, politiques, sociales, religieuses…

    Sans délaisser des réalisations qui jouent sur les matières et la lumière comme en témoigne notamment ses smart sculptures, Pia MYrvoLD va donc continuer d’explorer l’univers immatériel du virtuel et proposera d’autres déclinaisons d’Art Avatar qu’elle conçoit comme une série d’expositions évolutive naviguant entre réalité virtuelle, réalité augmentée et réalité mixte, et questionnant le monde réel. L’élément-clé de ce questionnement étant ce “miroir” où évoluent les avatars, véritable pont entre le monde réel et virtuel. Sachant qu’à l’avenir, d’autres environnements permettront encore d’enrichir et croiser les relations du public dans le virtuel.

    En-dehors d’Art Avatar et de la série Métamorphoses du Virtuel dont elle est fondatrice et curatrice, et qui fut présentée à Venise en 2013 puis à Shangaïa en 2014, Pia MYrvoLD est aussi investie sur d’autres projets. En particulier SYN-ENERGIES, développé comme une série de sculptures monumentales intelligentes qui absorbent l’énergie grâce à une interaction éolienne, solaire, hydraulique ou humaine. Présentée lors de la conférence Art For Tomorrow, organisée par le New York Times à Doha en 2016, une étude initiale a été finalisée pour SUN TRUMPETS. Une installation de 200 m2 pour les musées du Qatar qui consiste en 12 tours générant de l’énergie pour alimenter les évènements artistiques autour des nouveaux médias.

    WANDS, une autre série de sculptures intelligentes basées sur une première génération lancée en 2015 dans l’Atelier Nord ANX à Oslo, est actuellement en attente de partenariat. L’idée notamment étant de passer de l’immatériel au matériel pour l’art des nouveaux médias, de proposer des objets d’art “plug & play” pour des tablettes, et une architecture d’évènement basée sur de multiples paramètres de temps et d’interactions. En attendant, on pourra découvrir d’autres pièces et installations de Pia MYrvoLD à la galerie Lélia Mordoch à Paris — qui la représente aussi à Miami et doit publier un livre retraçant sa démarche artistique sur la décennie passée — à partir du 21 septembre, ainsi qu’en Norvège pour deux expositions personnelles à l’automne prochain.

    Laurent Diouf

    Photos: D.R.

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