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    Pour comprendre McLuhan

    entre technologies et arts

    À l’occasion du centenaire de Marshall McLuhan (1911-1980), philosophe, sociologue, professeur de littérature anglaise et théoricien de la communication canadien, parmi les nombreuses manifestations qui ont ponctué l’année 2011 tout autour du monde (excepté en France), Alphabetville (dirigé par Colette Tron) avec l’Ecole Supérieure d’Art d’Aix-en-Provence (J.P Ponthot, J.Cristofol), ZINC (E.Verges), Leonardo/Olats et l’Iméra (R.Malina), ont organisé trois journées consacrées à sa pensée et ses écrits.

    Marshall McLuhan, Hot and cool media, 1965 (video samples). Photo: © Marshall McLuhan Speaks, 2012.

    Inventeur de la formule Le message c’est le medium, penseur du “village global”, analyste des medias, ou technologies, et des mutations culturelles et anthropologiques qu’ils induisent, depuis l’imprimerie jusqu’à l’électronique, il s’est agi de visiter les propositions de McLuhan et de les envisager depuis les medias numériques actuels et en prise avec la globalisation informationnelle et culturelle. Avec l’intervention d’artistes, écrivains, philosophes, historiens de l’art, scientifiques… Et la présence et complicité de son ancien assistant, chercheur aujourd’hui internationalement reconnu, Derrick de Kerckhove. Afin de mieux comprendre McLuhan et d’en mesurer les effets.

    Les extensions de l’homme
    Les deux ouvrages majeurs de Marshall McLuhan, La galaxie Gutenberg et Pour comprendre les medias, sont respectivement sous-titrés La naissance de l’homme typographique et Les prolongements technologiques de l’homme (en anglais, Extensions of man). Les technologies ou medias (car en anglais “technique” se traduit aussi par media) sont ainsi des augmentations ou des substitutions à nos organes naturels. Prolongements externes : au XXe siècle, selon McLuhan, c’est notre système nerveux central qui est étendu, cela à l’échelle de la planète. Contracté par l’électricité, notre globe n’est plus qu’un village, écrit-il. L’âge de l’électricité, énergie capable de transporter de l’information à vitesse instantanée, constitue le principal changement pour l’homme et, par effet, pour l’organisation des sociétés. Globalité et instantanéité seraient les paradigmes des nouvelles spatio-temporalités depuis l’ordre électrique, puis électronique, informatique (et aujourd’hui numérique), et l’avènement d’une indispensable conscience planétaire.

    Medium et message
    Déterminisme technique, conditionnement et même asservissement aux effets des technologies, de l’homme typographique à l’ère de l’électricité, les analyses de McLuhan conduisent à cette sentence : Le message c’est le medium, et non son contenu. L’information est ce que le medium produit en tant que matériel physique et technique. Et le contenu est d’une autre nature, est toujours un autre medium. Medium et message forment ensemble un milieu, technique et culturel. À une période où la sémiologie est la science qui prédominait dans l’étude de la communication, McLuhan le Canadien proposait une autre méthodologie. De culture littéraire suivie d’une formation d’ingénieur, sa forme de pensée fait encore débat, ou est même entièrement déniée.

    Altérations des sens, alternative du sens
    Ce n’est pas au niveau des idées et des concepts que la technologie a ses effets; ce sont les rapports des sens et les modèles de perception qu’elle change petit à petit et sans rencontrer la moindre résistance. McLuhan s’attache aux changements et renversements qui s’opèrent au niveau du cerveau, tout en prenant des références plus littéraires et artistiques pour exemplifier et soutenir ses déductions. Chaque nouvelle technologie influe sur l’appareil sensoriel, le psychisme, cela tant au plan individuel que social, et c’est le système tout entier qui est bouleversé. À l’époque de la conscience étendue globalement — et vers sa simulation technologique — les effets de la technique s’infiltrent au niveau des organes physiques et mentaux, agissant sur nos gestes, nos esprits et leur modalité cognitive. À l’échelle planétaire, penser et panser les effets des nouvelles technologies devenait urgent. Pour comprendre les medias, une certaine distance critique est nécessaire et McLuhan soutient que les artistes sont en mesure de percevoir et représenter les alternatives du sens et de réinvestir la sensorialité de ces nouveaux modèles culturels.

    Le défi culturel
    L’histoire de la culture humaine ne connaît pas d’exemple d’une adaptation consciente des divers éléments de la vie privée et sociale à de nouveaux prolongements, sinon les tentatives des artistes. L’artiste capte le message du défi culturel et technologique plusieurs décennies avant que son choc transformateur ne se fasse sentir. Selon McLuhan, l’art, comme la science et la technologie, devance son époque, et, comme ces deniers domaines sont organisés dans les sociétés modernes, l’artiste est indispensable à l’orientation, l’analyse et la compréhension des formes de vie et des structures créées par la technologie. Associer l’artiste aux perspectives futures de la civilisation, c’est le défi culturel, posé par McLuhan, avec enthousiasme autant que lucidité quant à cette place. Il concevait déjà des rapports essentiels entre art et expérimentation, recherche artistique et scientifique, œuvre et société. Quoi qu’il en soit, l’art expérimental renseigne les hommes avec précision sur les prochains assauts que livreront à leurs esprits leurs propres technologies et seul l’artiste serait l’homme de la lucidité globale.

    Colette Tron
    publié dans MCD #66, “Machines d’écritures”, mars / mai 2012

    Colette Tron est auteure et critique. À travers Alphabetville, elle développe un espace de réflexion pluridisciplinaire autour des rapports entre arts, technologies et culture, dans une perspective manifeste d’articuler pratique(s) et théorie(s) de l’art et de la culture.

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