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    Unpainted

    Première foire allemande dédiée aux arts médiatiques dirigée par Annette Doms, Unpainted regroupe les galeries internationales soutenant les artistes aux technologies de leur temps. Au même moment, le Lenbachhaus consacre une exposition à Gerhart Richter intégrant, lui aussi, le médium numérique dans sa pratique artistique.

    Addie Wagenknecht, Asymmetric Love, 2013. Photo: D.R. / Courtesy XPO Gallery.

    À la DAM Gallery de Berlin
    Il y a, tout près de l’entrée de l’exposition se tenant au Postpalast de Munich, cette œuvre livresque d’une blancheur absolue qui nous questionne : Forgot your password ? Réalisée par l’artiste allemand Aram Bartholl s’appropriant les cultures numériques depuis le milieu des années 2000, elle est présentée par Wolf Lieser de la DAM Gallery de Berlin. Les huit volumes qui la composent révèlent 4,7 millions des 6.458.020 de mots de passe qu’un groupe de hackers russes auraient extirpés des serveurs de LinkedIn en 2012. Une part non négligeable de ce trophée ayant fini par émerger sur la toile, Aram Bartholl s’en est saisi pour imprimer les codes d’accès que le public peut scruter en se posant une autre question : mon secret est-il révélé ?. Cette œuvre symbolise parfaitement l’ère post-digital dans laquelle nous sommes entrés, quand le numérique est partout, y compris dans les objets inanimés et jusqu’au sein du marché de l’art, une étape nécessaire à la reconnaissance du médium numérique dans l’art contemporain. C’en est fini des débats sans issue relatifs la pérennité des œuvres de médias variables. Elles sont là, en galerie, et les collectionneurs peaufinant leurs profils LinkedIn aussi.

    Aram, Bartholl, Forgot Your Password?, 2013. Photo: D.R. / Agoasi. Courtesy DAM Gallery.

    Sur le stand de Cimatics Agency
    Nicolas Wierinck, fondateur de Cimatics Bruxelles, a décidé de consacrer un solo show à Frederik de Wilde. On se souvient de cet artiste belge clamant sa création du noir le plus noir du monde au retour d’une résidence passée à la Rice University de Houston réputée pour ses recherches en nanotechnologies. Le petit carré d’un noir composé de nanotubes de carbone absorbant tout particulièrement la lumière et rebaptisé Hostage en 2010 lui autorisant ce geste artistique à la radicalité comparable à celle d’Yves Klein protégeant son International Klein Blue en 1960. Mais déjà, en 2010, Frederik de Wilde projetait la production de sculptures recouvertes partiellement ou totalement par son noir si particulier ! Et c’est chose faite, car la valise intitulée NASABlck-Crcl #1 qui est exposée à Munich semble littéralement trouée en sa partie centrale par le disque de nanotubes de carbone qui a été produit en collaboration avec la NASA. Cet objet évoque aussi la boîte-en-valise de Marcel Duchamp, en cela qu’elle représente l’artiste et son concept, sans omettre la part de ready-made inhérente au noir que l’artiste belge s’approprie. Duchamp nous rappelant que l’on prend note de la présence d’un ready-made plutôt que de le contempler, comme on prend acte de l’absence apparente de matière là où un noir sans reflet aucun recouvre NASABlck-Crcl #1.

    Frederik de Wilde, NASABlck-Crcl #1, 2013. Photo: D.R. / Courtesy Cimatics Agency.

    Galerie Charlot
    Les œuvres de Christa Sommerer, Laurent Mignonneau et Jacques Perconte se partagent l’espace dédié à la galerie Charlot que dirige Valérie Hasson-Benillouche. On y découvre notamment une vidéo générative de Jacques Perconte ayant préalablement filmé un plan-séquence avant d’en traiter les algorithmes de compression avec une extrême précision. Au nord-est de l’île de Madère, du sommet des falaises, on peut apercevoir à une centaine de mètres de la côte un rocher bercé par les vagues […] L’océan n’a jamais de cesse de renouveler ses caresses salées, nous dit-il, alors que toutes les particules de l’image se renouvèlent sans jamais se répéter. Ses paysages filmiques, l’artiste français les envisage d’une manière résolument picturale. Des applications qu’il expérimente, il ne retient que les approximations. Pourtant, il n’y a pas plus d’accidents dans ses films qu’il n’y en a dans les peintures de Jackson Pollock. Tout nous apparaît contrôlé bien que rien n’ait été véritablement prévu. Avant une exposition, il arrive même à l’artiste de modifier quelque peu ses “réglages”, comme pour mieux s’adapter au contexte, préservant ainsi les spectateurs de toute forme de répétition. La structure même des caresses prodiguées au rocher de Madère par les vagues se renouvelant plus encore.

    Jacques Perconte, Santa Maria Madalena Rocha (Madeira), 2013. Photo: D.R. / Courtesy Galerie Charlot.

    XPO Gallery
    Philippe Riss, de la XPO, a lui aussi fait le voyage depuis Paris pour soutenir ses artistes, dont l’Américaine Addie Wagenknecht qu’il vient tout juste d’intégrer dans sa galerie. Celle-ci est à l’origine du lustre qui est suspendu au-dessus de nos têtes et attire notre attention, car des caméras de vidéosurveillance ont pris la place des ampoules ou chandelles. Cette œuvre, en édition de deux avec épreuve d’artiste et intitulée Asymmetric Love, est en tout point semblable à celles qui ont été acquises par deux collectionneurs durant la première vente d’art numérique organisée en octobre dernier chez Phillips, New York. Le monde change et le marché s’adapte ! Mais il est aussi intéressant de remarquer que cette œuvre cristallise parfaitement les étranges relations qu’entretient l’art au pouvoir. Les lustres de nos institutions symbolisant parfaitement le pouvoir que l’artiste dénonce dans l’usage des caméras qui nous surveillent. Ajoutons à cela que cette sculpture à l’ère du numérique et des réseaux évoquant les assemblages de téléviseurs de Nam June Paik des années soixante, nous est présentée dans un contexte marchand où la collection est aussi l’expression artistique d’une douce puissance ! L’œuvre d’Addie Wagenknecht, bien au-delà de son évidente plasticité, est plus complexe qu’il n’y paraît.

    Laurent Bolognini, F Vecteur II, 2013. Photo: D.R. / Courtesy Louise Alexander.

    Louise Alexander
    Frédéric Arnal, qui dirige la galerie Louise Alexander entre Paris et la Sardaigne, a assemblé quelques pièces de Laurent Bolognini, Miguel Chevalier, Pascal Haudressy, Sabine Pigalle et Jay Shinn. Laurent Bolognini a étudié la photographie pour enfin travailler la lumière appareillée de moteurs. Ses recherches s’inscrivent donc dans la continuité des pratiques cinétiques et lumineuses qui ont émergé au début des années soixante. Et ses œuvres, qui souvent se ressemblent, sont pourtant très différentes les unes des autres. On y voit parfois la représentation d’infimes particules, parfois l’évocation de lointaines étoiles. L’extrême vitesse des moteurs aidant, se sont des dessins qui impriment nos rétines. Les spectacles de Laurent Bolognini émergent de l’invisible en tirant parti de la limite de notre vision, de sa relative imperfection qui sied toutefois aux cinéastes. Les circonvolutions de lumière étant aussi lisses que celles d’électrons ou de lunes. Ce sont en effet de petites expériences de laboratoire que l’artiste réalise dans les espaces de galeries ou musées, entre l’art et les sciences ! Car si l’art numérique est une tendance, c’est aussi une composante du corpus des relations art/science qui se cristallisait déjà dans les courants humanistes florentins de la Renaissance.

    Pascal Haudressy, Saint François, 2012. Photo: D.R. / Courtesy Louise Alexander.

    Pascal Haudressy
    Des deux pièces d’une même série de Pascal Haudressy, l’une revisite l’histoire de l’art en évoquant le Saint François en méditation du Caravage alors que l’autre, représentant un cœur battant, emprunte davantage à l’esthétique de l’imagerie médicale contemporaine qui succède aux planches anatomiques d’antan. Le Saint François, dans sa fixité, est toutefois animé d’infimes vibrations comme le cœur de Somewhere we will Meet Again par l’instabilité des myriades de segments de droites qui en composent les contours. Il y a une forte unité de style entre ces deux images convoquant, l’une l’art et l’autre la science. Les vibrations qui les animent figurant parfaitement l’énergie inhérente à toutes les formes de vies, aussi éphémères soient-elles. Ce qui nous ramène au sujet originel du Saint François tenant dans sa main droite le crâne qui symbolise la vanité de nos existences terrestres. Et c’est en usant de micro mouvements que l’artiste met en scène cette vanité dans ce qui pourrait s’apparenter à la visualisation artistique de données corporelles.

    Quayola, Captive (1), 2013. Photo: D.R. / Courtesy Bitform Gallery.

    Bitform Gallery
    Le solo show de la Bitform Gallery de New York dirigée par Steven Sacks permet de découvrir la série in progress des œuvres de Quayola rendant hommage au style non-finito de Michel Ange. Les modèles en trois dimensions des Captives, dans l’image, sont révélés par les fluctuations d’un marbre fluidifié par les algorithmes. Une documentation vidéo donne à voir le travail du robot industriel qui libère les prisonniers de leurs blocs de polystyrène. Et Quayola de citer le maître : Dans chaque bloc de marbre, je vois une statue aussi nettement que si elle était là, devant moi, façonnée et parfaite dans l’attitude et le geste. Je n’ai qu’à abattre les parois grossières qui emprisonnent cette adorable apparition pour la révéler au regard des autres et au mien, Michel Ange (1501). C’est ainsi que l’artiste italien vivant et travaillant à Londres a “renseigné” la machine afin qu’elle abatte des parois grossières, enseignant d’innombrables pliures à son bras mécanique. La précision du bras de la machine étant comparable à celle de la main de Michel Ange alors que l’esthétique des polygones préservés trahit l’usage, par Quayola, des technologies numériques avec lesquelles il a coutume de revisiter l’histoire de l’art.

    Gerhard Richter, Strip, 2012. Photo: D.R.

    Gerhard Richter
    Quittons enfin le Postpalast pour se rendre au Musée du Lenbachhaus où se tient une exposition de Gerhard Richter. Et c’est dans les étages qu’une œuvre de la série Strip s’offre à nos regards en quête de précision. Les lignes horizontales qui la composent pourraient s’étendre à l’infini. S’en approcher consiste à en découvrir d’autres. Mais il faudrait avoir la vision préservée d’un enfant et la patience acquise par l’adulte pour toutes les observer. Sans omettre que cette série compte aujourd’hui près de 80 œuvres. Il s’agit de tirages numériques qui proviennent tous de la même peinture datant de 1990 : Abstraktes Bild (724-4). L’artiste allemand, dont on sait la grande diversité des styles, a divisé cette même peinture verticalement, encore et encore, jusqu’à n’en obtenir que des bandes de pixels qu’il a étirés par la suite. Gerhard Richter, après cinquante années de carrière artistique, n’a pas hésité à se saisir des technologies numériques afin d’aller plus en avant dans ses expérimentations se situant précisément entre le pictural et le photographique. Le fait que l’un des artistes contemporains parmi les plus cotés du marché exploite le médium numérique ne peut qu’encourager les initiatives comme celle d’Annette Doms, fondatrice d’Unpainted, la première foire d’art médiatique en Allemagne.

    Dominique Moulon
    MCD HS#10 v.2, octobre 2014 (non publié)

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