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    VRLAB

    David Guez, un autre point de vue sur le réel

    Fondateur du réseau VRLAB qui réuni artistes, chercheurs, penseurs, producteurs et diffuseurs orbitant autour de la réalité virtuelle et sur la réalité augmentée, David Guez est à l’origine d’un travail de réflexion passionnant sur ces technologies qui posent de nombreuses questions sur notre appréhension de la réalité, mais également de façon plus prospective, sur ce que nous ferons de ces espaces virtuelles où tout est encore à créer. Rencontre.

    Casques VRlab. Photo: D.R.

    On a le sentiment que la Réalité Virtuelle (RV) est enfin porteuse de projets et de potentialités intéressantes. On a surtout l’impression que le public, comme les artistes, commence à comprendre son importance. Qu’en penses-tu ?
    La réalité virtuelle va révolutionner notre rapport à la vision, et donc à la réalité. Nous entrons dans une phase historique où la technologie est prête à proposer des interfaces d’une qualité suffisante pour y accéder. Même si le principe est connu depuis des décennies, tout nous montre que nous avons atteint le seuil minimal pour entamer des cycles d’évolution rapide et proposer un objet quasi parfait d’ici cinq ans. Par ailleurs, on constate une convergence d’intérêts de tous les secteurs industriels (Internet, informatique, jeux, téléphonie, vidéo…) pour accélérer et imposer cette tendance, de façon massive et globale.

    Le clavier et la souris étant quand même des interfaces très préhistoriques, il y a aussi une attente réelle des utilisateurs en quête d’un mode de navigation qui change notre rapport physique et sensitif au numérique. Notre culture déjà massivement numérique est totalement prête pour la RV. Il ne s’agit pas simplement d’un nouveau langage, ou d’une nouvelle interface, c’est “autre chose” qui se définit et s’invente selon l’angle d’approche de chacun. C’est un rapport au monde et à nos systèmes de représentation. En ce sens, c’est très proche des préoccupations des artistes. Je ne sais pas s’ils comprennent tous l’importance de ce phénomène, mais ils l’appréhenderont différemment selon leur médium d’origine. Actuellement, je vois surtout de la curiosité et de l’envie du côté du cinéma et du jeu vidéo, ainsi que quelques expériences du côté des artistes numériques, du spectacle vivant et de la performance.

    En tant qu’artiste, qu’est-ce qui t’a poussé à inclure la RV dans ton travail ?
    La première fois que j’ai utilisé un casque Oculus, j’ai été saisi et fasciné par le côté complètement immersif de “l’expérience”. Il me semblait évident que le fait de passer en quelques secondes d’un monde sensoriel à un autre puisse pousser l’imagination vers des limites jamais atteintes, et qu’il fallait donc que la mienne s’inscrive dans cette action. J’ai complètement revisité les thèmes de mes travaux précédents (le temps, la mémoire, l’altérité, le réseau, l’invisible) en y ajoutant cette question de la vision. Je compare la RV à un nouvel univers sur lequel nous arrivons en naïfs, avec nos propres codes, nos certitudes et nos angoisses. La question est vraiment celle-ci : que puis-je concevoir avec la RV que je ne puisse concevoir autrement ? Les lois changent : celles de la physique, de la gravité, mais aussi celles de la mécanique et celles plus profondes de nos propres fonctionnements, physiologiques, psychologiques… En revanche, les réponses sont moins simples, et devant l’inertie de l’environnement culturel français, j’ai préféré mettre en place une sorte de Lab, le VRLAB.

    Quels sont les buts et les missions que s’est fixé ce Lab ?
    VRLAB est né avec l’ambition de s’imposer dans le paysage actuel “techno-startupisé”, comme une alternative où l’art est invité à s’exprimer sur ces sujets. Je voulais créer un espace qui puisse réunir différents acteurs du domaine — journalistes, historiens, codeurs, designers, artistes et structures intéressées — en initiant des projets, en proposant des thématiques de discussion autour de sujets connexes, faire une veille active, au cours de soirées explorant ces questions.

    David Guez & Bastien Didier, Lévitation. Dispositif artistique expérimental.

    David Guez & Bastien Didier, Lévitation. Dispositif artistique expérimental. Photo: D.R.

    L’aventure VRLAB dure depuis un an et demi maintenant, qu’en retires-tu ?
    Il est passionnant et important que les artistes se mettent aux commandes de leurs propres outils de médiation, de production et de diffusion. Nous avons ce devoir et cette nécessité. Je parle ici d’un point de vue sociologique, politique et économique. J’ai créé VRLAB parce que j’en avais assez d’être soumis à la loi des circuits classiques. J’hérite de la culture du web, celle alternative, qui veut changer les choses et ne pas les utiliser pour s’enrichir, ou prendre des parts de marchés et de niches. Depuis mon arrivée sur Internet en 1995, je développe des plateformes associatives alternatives qui changent les règles et bousculent les modèles existants. En 2000, j’ai créé le premier portail de webtvs des médias libres, puis inventé un jeu réseau humanitaire (DOTRED), qui change le réel.
    Récemment, lancé une monnaie temporelle associée à la blockchain, le KRONOS (www.kronos.money) et proposé une nouvelle façon d’échanger entre les artistes et leur public sur la question de la résidence d’artistes (hostanartist.org). Je pousse aussi au partage des droits d’auteurs entre les artistes et les codeurs (ceux-ci étant souvent la cheville ouvrière des projets en art numérique), artistes/codeurs et autres, pour développer des projets. C’est très important pour comprendre la façon dont le modèle décentralisé initié avec le web peut influencer le monde réel. VRLAB développe plusieurs partenariats avec des acteurs européens du domaine, et a plusieurs projets en cours de développement (notamment avec l’agence DECALAB de Natacha Seignolles et CrossedLab de Merryl Messaoui).

    Peux-tu développer sur ton projet Lévitation ?
    Lévitation est développé avec Bastien Didier, qui est acteur (non pas acteur, mais plutôt artiste et codeur) de la réalité virtuelle et augmentée (http://vrlab.fr/levitation/). C’est une installation élaborée à partir d’un casque RV, d’un casque neuronal et de divers capteurs qui vont permettre aux spectateurs de s’immerger de façon physique et mentale dans des mondes virtuels/augmentés construits pour répondre à la question suivante : que se passe-t-il au niveau de notre cerveau lorsque nous sommes plongés dans des univers virtuels ultra réalistes dont l’objectif est de dérégler certains de nos sens ? La notion de perception visuelle et sensorielle est au cœur de ce projet, avec l’idée de pouvoir in fine, modifier certaines de nos fonctions cognitives, ou d’en créer de nouvelles, par rétroaction et apprentissage. Associé à cette installation qui s’inscrit dans un espace réel, il s’agit de développer une application RV qui va permettre aux spectateurs d’évaluer leurs capacités sensorielles, de s’entrainer à les modifier, voire de les amplifier. Le titre correspond à la première de ces capacités, celle qui défie les lois de la pesanteur.

    Tu travailles également sur le projet Audela. Peux-tu nous en parler ?
    Audela est le projet lié à l’astrophysique. Il s’agit de créer un objet réel unique, que chacun porterait comme un bijou, et qui aurait la capacité de nous relier à un monde invisible et intime, une sphère virtuelle qui flotterait au-dessus de nous, à la manière d’une étoile. Cette sphère serait notre univers en expansion, dans lequel nous pourrions envoyer des souvenirs (photos, textes, vidéos) via ce bijou. Un mode public permettra de naviguer dans ces sphères-étoiles à l’aide de casques VR et d’assister à l’évolution de mondes parallèles basés sur notre propre construction. L’idée, c’est que ces sphères nous survivent une fois mort et qu’elles se détachent de nous pour s’associer à une étoile réelle existante.

     

    propos recueillis par Maxence Grugier
    publié dans MCD #82, « Réalités Virtuelles », juillet / septembre 2016

     

    > http://vrlab.fr

     

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